Rien ne prédestinait vraiment Rocket League à être l’un des plus beaux succès de cette génération. Au sein de Psyonix non plus on n’imaginait pas atteindre de tels chiffres de ventes. Après tout, il ne s’agit que de la suite de Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars, un jeu à la popularité assez modeste. Ce titre avait néanmoins réussi à former une petite mais solide communauté grâce à un gameplay accrocheur, mêlant plus ou moins football et course. Pour Rocket League, le studio américain n’est pas reparti de zéro. Il s’est appuyé sur cette base et l’a grandement peaufinée; un long chemin pendant lequel Psyonix a su prendre les bonnes décisions et faire preuve de chance.
Une semaine presque comme une autre pour Rocket League. Les serveurs affichent un nombre élevé de joueurs à tout moment de la journée et un nouveau patch vient de tomber. Celui-ci vient éradiquer quelques vilains bugs, permet de jouer en 4K à 60FPS, si on possède une PS4 Pro, et ajoute deux véhicules payants ainsi que quelques décorations gratuites distribuées de manière aléatoire à la fin de chaque rencontre. Cela fait près de 20 mois que Rocket League est maintenant disponible, mais Psyonix continue de s’occuper de son jeu comme au premier jour, sans doute parce qu’il n’oublie pas que son destin a longtemps été incertain.
La sortie de Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars a également connu un joli retournement de situation. Psyonix entendait initialement marquer ses buts sur Xbox 360, mais Microsoft réclamait la présence d’un éditeur et des changements sur certains points du jeu. SARPBC s’est alors logiquement dirigé vers la PlayStation 3 car il était moins complexe de proposer son jeu sur le PlayStation Store, sans doute parce que Sony voulait à l’époque vite rattraper son retard sur le Xbox Live où les pépites indés se multiplaient. La sortie de Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars s’est alors faite dans l’anonymat, à cause d’une absence totale de marketing. Il y avait bien une option permettant d’exporter ses plus belles actions sur Youtube afin de donner une forme de visibilité à ce titre, mais la plateforme de Google n’était pas aussi puissante en 2008 qu’elle ne l’est maintenant.
Malgré cette sortie plutôt discrète, Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars n’a pas été un grand échec commercial. Il a toutefois mis environ 2 ans pour être rentable et cette (trop) longue période a obligé Psyonix à reprendre son activité d’outsourcing, c’est-à-dire récupérer des contrats lorsque des studios de développement souhaitent externaliser une partie de leur production. L’envie d’offrir une suite à SARPBC n’a cependant jamais quitté l’esprit de Psyonix, encouragé par cette petite communauté qui, même en 2015, continuait de jouer à ce premier épisode. L’équipe installée en Californie adorait ce jeu et savait qu’en le peaufinant davantage et en lui offrant une meilleure visibilité, il pourrait alors tirer son épingle du jeu. D’autant plus que Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars ne représentait pas le jeu auxquels ils jouaient. Eux faisaient des parties sur leur PC de développement à 60FPS en LAN tandis que sur PS3, les matchs étaient à 30FPS avec parfois un peu de lag, ce qui nuisait à l’expérience qui repose avant tout sur la précision.
En 2011, Psyonix imagine une sorte de reboot au nom de World Battle Car League ou Battle Cars 2. Ce jeu a alors pour objectif de surfer sur la vague de l’eSport, tout en adoptant un design plus réaliste. Les voitures radio-télécommandées sont alors remplacées par de vrais bolides conduits par de vrais pilotes dans de vrais stades. La physique du jeu est également revue mais ces changements nuisent au fun, à l’amusement général. De plus, plusieurs éditeurs dont Electronic Arts ne sont guère emballés par cette idée. Une autre vision, portant le nom de Battle-Cars World, est également envisagée. Cette fois-ci, Psyonix pense à un monde ouvert à parcourir, où il serait alors possible de faire un peu partout des pirouettes en l’air et de se retrouver dans des stades pour participer à des mini-jeux. Mais cela ne tenait pas la route: les réglages qui rendent un jeu de foot intéressant ne fonctionnent pas forcément avec ceux d’un jeu de course.
A l’époque, au début des années 2010, ce modèle économique cartonnait sur des jeux comme Team Fortress 2 et DOTA 2. De plus, Psyonix voulait s’assurer d’avoir le plus rapidement possible une grosse communauté de joueurs; le concept assez perturbant du jeu (du foot avec des petites voitures) couplé à un prix fixe étaient selon eux un trop grand risque. En 2014, il est finalement décidé que Rocket League devienne un jeu premium, c’est-à-dire payant. Cette décision est alors mûrement réfléchie. Les free-to-play se multiplient, la concurrence est de plus importante et d’un point de vue pécuniaire, c’est bien plus raisonnable. Psyonix estime alors le budget de Rocket League à un million de dollars. Pour rentrer dans ses frais, il devait écouler plus de 1,8 million de micro-transactions ou bien vendre près de 55 000 jeux à 20 dollars. Le choix est alors vite pris et devenir premium enlève également une épine du pied des développeurs qui pouvaient à nouveau se concentrer pleinement sur le jeu et non ses mécaniques F2P.
Sur le papier, au moment de son lancement, Rocket League reposait donc sur un contenu très léger: un seul mode de jeu sur des arènes toutes semblables avec des véhicules non-différenciés. Psyonix était parfaitement au courant de cela et craignait en retour la réaction du public. Mais ce choix s’est avéré payant puisqu’il leur a permis de pleinement se concentrer sur l’expérience même de jeu et ainsi la peaufiner au maximum, chose qui n’avait pas été faite avec SARPBC et qui a été rendue possible grâce à l’expérience acquise en aidant sur des jeux AAA. Un gros travail a ainsi été fourni sur le design de l’arène, notamment sur les angles, afin que chaque rebond puisse être prévisible, ce qui supprime tout côté aléatoire. Le matchmaking a aussi été amélioré, un quick-chat a été ajouté (Beau tir!), au même titre que du cross-platform afin que les joueurs PC puissent jouer avec leurs homologues sur consoles. Cela implique cependant de devoir patienter plusieurs jours avant de pouvoir diffuser des patchs sur PC puisque sur PS4 et Xbox One, il faut que chaque constructeur certifie chacune des mises à jour, ce qui prend du temps.
Placer Rocket League dans les liste des jeux gratuits de juillet 2015 a bien entendu fait l’objet de nombreux débats au sein de Psyonix, avec notamment cette crainte que personne n’achète ensuite le jeu. Ce sentiment a été décuplé au moment de la sortie de Rocket League où ce titre a explosé tous les records en devenant le jeu le plus téléchargé de l’histoire du PlayStation Plus. Aucun chiffre officiel n’existe mais on évoque entre 5 et 6 millions de copies écoulées gratuitement. Ce sont alors les ventes réalisées sur Steam qui ont sauvé Psyonix, d’autant plus que la plateforme de Valve paye rapidement. Il faut dire qu’avec ses serveurs dédiés, le studio américain n’a pas choisi la facilité puisque cette dépense se chiffre en millions de dollars.
En janvier 2017, on recensait 25 millions de joueurs uniques —notamment grâce aux week-end gratuits— pour 8 millions de ventes, dont la moitié en provenance du monde du PC. Les joueurs Steam sont d’ailleurs plus friands de DLC que leurs homologues sur PS4 et Xbox One, dixit Psyonix. Au niveau des revenus, l’équipe américaine précisait il y a un an que Rocket League avait généré 70 millions de dollars (pour 4 millions de ventes) alors que le budget était légèrement inférieur aux 2 millions de dollars. Un immense succès qui provient de nombreux facteurs.
MAJ 11/03/2017: en mars 2017, Psyonix a indiqué que Rocket League avait atteint les 10,5 millions de ventes et près de 29 millions de joueurs enregistrés (PS Plus, week-end gratuit et joueurs invités en écran-partagé)
Sortir le jeu lors de l’été 2015 a également tourné à l’avantage de Psyonix car la concurrence était très faible, tout comme l’actualité vidéo-ludique. Cela a alors plus ou moins obligé la presse spécialisée à multiplier les articles sur Rocket League, ce qui a sans doute participé à confirmer son statut de phénomène. Mais sans l’épisode PlayStation Plus, les choses auraient sans doute été différentes. Certes, on peut facilement penser que Psyonix a perdu plusieurs centaines de milliers de ventes, voire même plusieurs millions, mais cette étape lui a permis de faire connaître de la plus belle des manières son jeu unique, tout en constituant très rapidement une immense base de joueurs. Il s’agissait d’ailleurs des deux raisons qui poussaient à l’époque Psyonix de faire de Rocket League un jeu Free-To-Play. Et quand le studio est interrogé sur le fait de savoir si placer Rocket League sur le PlayStation Plus était une bonne décision ou pas, il répond toujours que si c’était à refaire, il recommencerait sans hésiter.
Le succès de Rocket League provient d’un concours de circonstances finalement favorable combiné à un jeu fabuleux, une communauté hyper active et un développeur qui ne cesse de soutenir son titre. Psyonix a ainsi rajouté gratuitement plusieurs modes de jeu ou des arènes aux caractéristiques uniques, ce qui pousse naturellement les joueurs à revenir pour découvrir ces nouveautés. Mais on lance également de manière fréquente des parties pour reproduire ce qu’on a pu voir sur Youtube/Twitch/Reddit, ou tout simplement pour enchaîner les matchs car Rocket League est un jeu terriblement amusant. Ça a d’ailleurs toujours été l’objectif de Psyonix: le plaisir avant tout. Plus qu’un simple mot, un leitmotiv qui a poussé autrefois à l’annulation de plusieurs projets, jusqu’à trouver la bonne formule, celle capable de transformer Super Acrobatic Rocket-Powered Battle-Cars en une roquette qu’on ne peut plus arrêter.